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law-france-request@amgot.org, Subject: AIFRCOPF
INTRODUCTION
DISPOSITIONS PERTINENTES DES INSTRUMENTS
INTERNATIONAUX RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME
- Le droit à la vie
- Prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants
DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LEGISLATION FRANÇAISE
INFRACTIONS COMMISES PAR DES AGENTS DE LA FORCE PUBLIQUE
ALLEGATIONS DE MAUVAIS TRAITEMENTS INFLIGES PAR DES AGENTS DE LA FORCE PUBLIQUE
Au cours des dernières années, Amnesty International a eu
connaissance d'un nombre troublant d'informations relatives à
des coups de feu, à des homicides et à des allegations de mauvais traitements infliges à des personnes poursuivies ou detenues
de la part d'agents de la force publique en France. Les recherches menées par l'organisation au sujet de ces incidents donnent
à penser que, dans un nombre non négligeable de cas, les agents
en question ont recouru à l'usage de la force d'une façon
inconsidérée et d'une manière qui
était hors de toute proportion avec
la situation. Dans certains cas, la force utilisée a été telle qu'elle
a eu pour résultat des morts violentes ou des blessures par armes
a feu. Dans d'autres cas, elle a donné lieu à des allégations de
torture et d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants.
En vertu du droit international, les gouvernements sont tenus
de veiller à ce que les agents de la force publique ne recourent à
la force que lorsque cela est strictement nécessaire et seulement
dans la mesure exigée pour l'accomplissement de leur devoir. La
force et les armes à feu doivent être utilisées avec retenue comme
un dernier recours et leur usage doit être proportionné à l'infraction et à la réalisation d'un objectif légitime. L'usage de la
torture et d'autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est absolument interdit en toutes circonstances. La France a ratifié les traités internationaux relatifs à ces
questions, et ces normes et règles se retrouvent pour une large
part dans les dispositions de sa législation nationale. Cependant
il est arrivé parfois que les pratiques judiciaires et administratives n'aient pas été conformes aux normes et règles internationales.
Amnesty International a noté avec préoccupation qu'une proportion élevée des victimes de coups de feu, d'homicides et de
mauvais traitements allégués de la part d'agents de la force publique ont une origine
ethnique non européenne et sont originaires des pays du Maghreb, du Moyen-Orient et de l'Afrique centrale et occidentale. Les mauvais traitements allégués, physique
et sexuels, sont souvent accompagnés d'insultes expressément
racistes ainsi que d'injures plus générales.
Des agents de la force publique ont déclaré qu'ils étaient obliges de recourir à la force dans beaucoup des incidents faisant
l'objet du présent rapport parce qu'eux-mêmes, d'autres personnes ou leurs biens étaient attaqués ou menacés.
Amnesty International reconnaît clue certains des incidents ont pu effectivement se produire dans un tel contexte, et elle reconnaît aussi que,
dans certaines circonstances, la loi française autorise le recours à
la force. Toutefois, cette loi exige que, lorsque la force est utilisée, les moyens soient proportionnés à la gravite de l'atteinte ou
de l'agression. Le droit international insiste beaucoup sur l'importance de la proportionnalité quand il s'agit de juger si l'usage
de la force est légitime et il précise que l'usage d'armes à feu
avec l'intention de donner la mort n'est admissible que lorsqu'il
est absolument inévitable pour protéger des vies humaines. Aucune des victimes dont il sera question plus loin n'était porteuse
d'armes à feu et la plupart n'étaient porteuses d'aucune arme
quelle qu'elle fût.
Dans le présent rapport, Amnesty International ne se propose
pas de présenter une analyse ou un tableau complet de l'usage
excessif de la force. Son intention est d'appeler l'attention sur
une situation préoccupante, des événements survenus en France
ces dernières années ayant montré qu'il y a eu un recours excessif à la force se traduisant par des mauvais traitements, des coups
de feu et des homicides contre des personne qui sont en grande
partie jeunes et souvent d'origine ethnique non européenne.
D'autres organisations non gouvernementales et intergouvernementales honorablement connues sont parvenues à des conclusions analogues.
En janvier 1993, le Comité européen pour la prévention de la
torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)
[1. Organe composé de 10 experts élus par les Etats parties à la Convention pour en surveiller l'application et renforcer les mesures de protection contre la
torture prévues par la Convention et d'autres instruments internationaux au moyen de visites dans les pays ayant ratifié la
Convention.]
a publié, avec l'assentiment du Gouvernement français, un rapport sur
sa visite en France a la fin de 1991 et la reponse du Gouvernement français
[2. Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la
visite effectuée par le Comité européen pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) en France
du 27 octobre au 8 novembre 1991 et réponse du Gouvernement de la
République française - 19 janvier 1993 (CPT/lnf (93) 2).]
Ce rapport concluait "qu'une personne privee de sa liberté par les forces
de l'ordre court un risque non négligeable d'être maltraitée"
[3. CPT/lnf(93)2-p, I3, IIA.I.II.]
Dans une lettre envoyée en août 1993 au ministre de l'intérieur,
Charles Pasqua, et dont copie a eté adressée au ministre de la
justice, Pierre Méhaignerie, pour qu'il fasse connaître ses observations, Amnesty International a exprimé ses graves preoccupations au sujet d'informations relatives à un certain nombre de
morts en détention, de coups de feu, d'homicides et d'allégations
de mauvais traitements de la part d'agents de la force publique
au cours des six premiers mois de 1993. Elle a considéré que ces
préoccupations se justifiaient aussi bien en vertu du droit international que de la législation française. Les résultats des enquêtes
menées par Amnesty International au sujet de ces informations
donnent à penser que la pratique actuelle des opérations de police en France soulève de graves problèmes. Des enquêtes judiciaires ont ete ouvertes au sujet des incidents en question et
Amnesty International a prié le gouvernement de l'informer de
leur avancement.
Amnesty International s'est félicitée des assurances que le
ministre de l'intérieur a données le 10 mai 1993 dans son allocution aux commissaires de police en disant que la France respectait les engagements internationaux qu'elle avait pris depuis la
deuxième guerre mondiale dans le domaine des droits de l'homme et des libertés publiques. En conséquence, l'organisation a
invoqué dans sa lettre plusieurs traités internationaux ratifiés par
la France aux termes desquels ce pays est légalement tenu de
respecter le droit à la vie et l'interdiction de la torture et des
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi
du'une série de dispositions détaillées adoptées par les Nations
Unies en vertu desquelles les Etats membres sont tenus de se
conformer a des normes relatives a l'application des lois et à la
justice pénale. Elle s'est référée expressément au Code de
conduite de l'ONU pour les responsables de l'application des
lois, aux Principes de base de l'ONU sur le recours à la force et
l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application
des lois et aux Principes de l'ONU relatifs à la prévention efficace des exécutions extra-légales, arbitraires et sommaires et aux
moyens efficaces d'enquêter sur ces exécutions. Amnesty International a demandé instamment que,
dans la formation des responsables de l'application des lois, il soit pleinement tenu compte de ses recommandations aux gouvemements sur la sélection,
la formation et la surveillance du personnel en vue de prévenir
les comportements racistes et de son Programme en douze points
pour la prévention de la torture. Elle a également appelé L'attention du gouvernement sur les normes qu'elle avait élaborées
pour les commissions nationales des droits de l'homme, et ce en
raison des discussions qui se poursuivaient au sujet de la création en France d'un organe
[5, Un Haut conseil de la deontologie de la police nationale.]
chargé de conseiller les ministres de l'intérieur sur toutes les questions
relatives aux codes professionnels de pratique de la police.
A la fin de juillet 1994, aucune reponse n'avait éte reçue du
Gouvernement français.
Le présent rapport contient de brefs exposés sur certaines des
affaires dont Amnesty International avait entretenu le gouvemement en août 1993 et sur des affaires nouvelles au sujet desquelles Amnesty International avrait fait des recherches jusqu'à
la fin de juin 1994.
DISPOSITIONS PERTINENTES DES INSTRUMENTS
INTERNATIONAUX RELATIFS AUX DROITS DE L'HOMME
Le droit de n'être pas privé arbitrairement de la vie et la prohibition absolue de la torture et des autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants sont des normes fondamentales
du droit international. Ces droits sont proclamés dans la
Déclaration universelle des droits de l'homme et font l'objet des
articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (Pacte). Tous les Etats parties au Pacte sont légalement tenus de les respecter.
Le Comité des droits de l'homme, groupe d'experts chargés de
surveiller l'application du Pacte, a adopté une série d'observations générales destinees à faciliter aux Etats parties la compréhension de leurs obligations aux termes des divers articles du
Pacte. Certaines de ces observations generales ont un rapport
direct avec les préoccupations d'Amnesty International exprimées dans le présent rapport.
a) Le droit à la vie
L'observation générale n" 6
[6. Observation générale n" 6 sur l'article 6 du Pacte, adoptée par le
Comité des droits de l'homme (seizième session, 1982).]
sur le droit à la vie indique que "la protection contre la privation
arbitraire de la vie qui est expressément reprise [dans le Pacte]
est d'une importance capitale".
Les Etats parties doivent prendre des mesures notamment "pour
empêcher que leurs propres forces de sécurité ne tuent des individus de façon arbitraire". La législation doit "réglementer et limiter strictement les cas dans lesquels une personne peut être
privée de la vie par ces autorités".
La communauté internationale a élaboré des mesures relatives
aux droits garantis par le Pacte. L'Assemblée générale de l'ONU
a adopté ces mesures par consensus sans vote contraire.
Le Code de conduite de l'ONU pour les responsables de l'application des lois, adopté en 1979 par l'Assemblée générale de
l'ONU, souligne le caractère exceptionnel du recours à la force,
indiquant à son article 3 que "les responsables de l'application
des lois peuvent recourir à la force seulement lorsque cela est
strictement nécessaire et dans la mesure exigee par l'accomplissement de leurs fonctions". Des directives plus détaillees figurent dans les Principes de base de l'ONU sur le recours à la force
et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, adoptés le 7 septeinbre 1990 par le Huitième Congrès des Nations Unies
pour la prévention du crime et le traitement des délinquants. Aux termes du principe 4, "les responsables de l'application des lois [...] auront recours autant que
possible à des moyens non violents avant de faire usage de la
force ou d'armes à feu. Ils ne peuvent faire usage de la force ou
d'armes à feu que si les autres moyens restent (c'est nous qui
soulignons) sans effet ou ne permettent pas d'escompter le résultat désiré". Lorsque l'usage légitime de la force ou des armes à
feu est inévitable, les responsables de l'application des lois, en
vertu du principe 5 :
a) En useront avec modération et leur action sera proportionnelle
à la gravité de l'infraction et à l'objectif légitime à atteindre
Aux termes du principe 9, les responsables "ne doivent pas faire usage d'armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace
imminente de mort ou de blessure grave ou pour prévenir une
infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger
des vies humaines, ou pour procéder à l'arrestation d'une personne présentant un tel risque", et "seulement lorsque des mesures
moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs".,,
b) Prohibition de la torture et des peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
Dans son observation générale n" 20
[8. Observation générale n' 20 sur l'article 7 du Pacte, adoptée par le
Comité des droits de l'homme (quarante-quatrième session, 1992) en
remplacement de l'observation générale n" 7]
le Comité des droits de
l'homme indique que l'article 7 du Pacte a pour but "de protéger
la dignité et l'intégrité physique et mentale de l'individu". Le
Pacte ne donne pas de definition des actes visés a l'article 7, et le
Comité des droits de l'homme "n'estime pas non plus nécessaire
d'établir une liste des actes interdits ni de fixer des distinctions
très nettes entre les différentes formes de peines ou traitements
interdits ; ces distinctions dépendent de la nature, du but et de la
gravité du traitement infligé". L'interdiction énoncée a l'article 7
concerne "non seulement des actes qui provoquent chez la victime une douleur physique, mais aussi des actes qui infligent une
*soufriance mentale*" (c'est nous qui soulignons). Cela est important dans les cas où les victimes risquent d'éprouver des souffrances mentales parce qu'elles se sentent avilies par l'usage
d'insultes racistes et d'injures plus générales. Beaucoup des cas
visés dans le présent rapport comportent des allégations
d'insultes et d'injures de ce genre. En outre, le Comité mentionne specialement l'importance qui s'attache a la diffusion
d'informations sur l'interdiction de la torture pour l'édification
et l'instruction de la population en genéral et du personnel chargé de l'application de la loi en particulier.
En sa qualité d'Etat partie à la Convention des Nations Unies
contre la torture et autres peines ou traitemènts cruels, inhumains
ou dégradants, la France est tenue de veiller "à ce que les autorités compétentes procedent immédiatement à.une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire
qu'un acte de torture a éte commis" et d'assurer "à toute personne [...] le droit de porter plainte devant les autorités competentes [...] qui procéderont immédiatement et impartialement a
l'examen de sa cause".
DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LEGISLATION FRANÇAISE
L'usage de la force ayant cause des blessures ou la mort est passible de peines en vertu des articles pertinents du Code pénal.
Deux sections du Code pénal s'appliquent aux cas dont il est
question dans le present rapport. Elles sont intitulées respectivement "De la responsabilité pénale" et "Des atteintes à la personne humaine".
a) Responsabilité pénale
Cette section du code se divise en deux chapitres : le premier
contient les dispositions générales et le second est consacré aux
cas dans lesquels il ne saurait y avoir de responsabilité pénale
même lorsqu'une infraction a été commise. La question de
savoir si une personne qui a causé des blessures ou la mort est
pénalement responsable releve de ce chapitre. Les articles 122-1
à 122-8 de celui-ci définissent les circonstances pouvant comporter "des causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité".
Apres l'introduction du nouveau Code pénal en mars 1994, le
ministère de la justice a diffusé une circulaire
[9. Circulaire genérale présentant les dispositions du nouveau Code
Pénal - Commentaire de la direction des affaires criminelles et des grâces.]
Deux des articles commentés dans le chapitre interprétant les dispositions du code
relatives à la responsabilité pénale sont particulièrement pertinents.
L'article 122-5 détermine les circonstances dans lesquelles les
atteintes à l'intégrité physique relèvent de la légitime défense.
Ce texte consacre le principe jurisprudentiel de proportionnalité
entre l'acte de défense et la gravité de l'atteinte. Le deuxième
alinéa de l'article est consacré à la défense des biens. La latitude
concédée par la loi en matière de recours à la force est plus restreinte pour la défense des biens que pour la défense des personnes. L'une des principales considérations est qu'aucun acte
pour la défense de biens, si grave que soit l'agression, ne peut
être considéré comme légitime s'il entraîne la mort de la personne responsable de l'agression.
L'article 122-7 est consacré à l'état de nécessité.
Celui-ci consacre et sytématise une jurisprudence établie depuis de nombreuses années et pose trois conditions qui, si elles sont remplies, entraînent l'absence de responsabilité pénale :
b) Atteintes à la personne humaine
Cette section du Code pénal concerne toutes les infractions
considérées dans le present rapport. Le chapitre premier commence par les atteintes à la vie humaine, comme le meurtre et
l'homicide involontaire ; les chapitres suivants concernent les
atteintes à l'intégrité physique ou psychique de la personne, et
notamment la torture, les agressions sexuelles et les atteintes à la
dignité de la personne.
INFRACTIONS COMMISES PAR DES AGENTS
DE LA FORCE PUBLIQUE
Depuis de nombreuses années, l'opinion publique en France
s'inquiète du recours excessif à la force et de l'usage abusif des
armes à feu par des agents de la force publique. Au coeur de ces
préoccupations, on trouve un débat sur le rôle de l'application de
la loi dans la société et sur la manière dont le système judiciaire
traite les agents de la force publique par rapport aux membres
d'autres groupes.
L'objet du présent rapport est de demontrer, par des exemples
précis, comment, de l'avis d'Amnesty International, la France
néglige ou viole ses obligations de droit international. L'inquietude de l'opinion publique au sujet du recours excessif à la force
et aux armes à feu a atteint son comble en avril 1993 lorsque, au
cours d'incidents distincts, la police, en l'espace de trois jours, a
tire sur trois jeunes non armés, dont deux mineurs, détenus par
elle, et les a tués. Ces morts ont été suivies de désordres publics
importants qui ont eux-mêmes donné lieu à de nombreuses allégations de mauvais traitements par la police. Dans une interview
télévisée du 9 avril 1993, M. Charles Pasqua, récemment nomme
ministre de l'intérieur, s'est efforcé d'apaiser les craintes du
public. Apres avoir présenté les excuses du gouvernement aux
familles des trois jeunes gens qui avaient trouvé la mort, il a
déclaré : "Je serai impitoyable avec ceux qui commettent des
fautes" et il a rappelé a la police que "la nation confie des armes
pour qu'on defende les citoyens et non pour qu'on les agresse".
Le 11 avril 1993, un journal français, le Journal du Dimanche,
estimait que 27 personnes avaient été abattues par des agents de
la force publique depuis 1988.
Le présent rapport passera en revue 12 cas distincts d'usage
d'armes à feu par des agents de la force publique, dont 11 se
sont produits au cours de la période de 18 mois qui a pris fin en
juin 1994. Il en exposera les circonstances et mentionnera les
mesures prises par le systeme judiciaire. Dans sept des 11 cas,
les victimes avaient une origine ethnique non européenne, tous
étaient des adolescents ou de jeunes adultes et trois etaient des
mineurs.
En présence de ces homicides, la politique suivie par le gouvernement n'a pas substantiellement changé malgré les préoccupations exprimées à plusieurs reprises par des organes représentant
les avocats, les magistrats et les agents de la force publique. Ce
dernier groupe a éte particulièrement énergique pour exiger des
réformes du systeme de formation des responsables de l'application de la loi. Le gouvernement a reconnu que la formation et
l'encadrement de ces responsables comportaient des defaillances
structurelles, mais, de l'avis d'Amnesty International, il n'a pas
pris les mesures voulues pour remédier à des problemes dont
l'existence est reconnue depuis de nombreuses années, contribuant amsr a la perpétuation de ces problèmes.
Dans son interview télévisee du 9 avril 1993, le ministre de
l'intérieur a déclaré qu'il avait trouvé une "police démotivée"
dans laquelle "la hiérarchie ne joue pas suffisamment son rôle".
En reponse à une question sur les evénements récents, et plus
particulièrement sur les désordres publics importants qui avaient
suivi les homicides ayant eu lieu au debut d'avril 1993, il a dit :
"Je crois que nous payons les conséquences d'une police mal
encadrée et mal commandée."
Au fil des années, les gouvernements sont intervenus activement dans des affaires où des responsables de l'application de la
loi risquaient d'etre poursuivis. En 1988, la presse
[10. Le Monde, 6 février 1988.] a annoncé
qu'une circulaire de la chancellerie enjoindrait aux parquets de
prendre attache avec le cabinet du Garde des Sceaux avant toute
ouverture d'une information judiciaire pouvant mettre en cause
des policiers. Le 19 juillet 1994, le Garde des Sceaux adressait a
tous les procureurs généraux une circulaire leur demandant de
faire savoir à tous les procureurs de la République qu'il désirait
être informé des poursuites susceptibles d'être intentées contre
tout fonctionnaire.
FORMATION DES AGENTS DE LA FORCE PUBLIQUE
L'absence de formation répondant aux normes et critères internationaux (voir ci-dessus) cause un malaise que l'on peut clairement déceler dans deux importantes déclarations de policiers. En
juin 1993, Pierre Lascombe, du Syndicat national des commissaires - Fédération autonome des syndicats de police (SNC-FASP), a fait observer, a propos de l'application de la nouvelle
loi controversée sur le contrôle des étrangers et immigrants en
situation irrégulière et à la lumière des dispositions relatives aux
droits de l'homme figurant dans le code de déontologie de la
police : "Aucune heure n'est réservée aux cours de déontologie
dans les écoles de gardiens de la paix"
[11. Le Monde, 23 juin 1993.]
et il a souligne la nécessité de prévoir une formation.
D'autre part, après la mort par balle en décembre 1993 d'un
jeune de 19 ans (voir ci-dessous), le Syndicat national des policiers en tenue - Fedération autonome des syndicats de police
(SNPT-FASP) a, dans une lettre adressée au ministre de l'intérieur, regretté que l'entraînement au maniement des armes donné
actuellement soit inadéquat et demandé que les policiers soient
mieux formés à la maîtrise des délinquants. Les critiques portaient notamment sur le système qui veut que ceux-ci apprennent
seulement à tirer sur des cibles représentant un homme-tronc
dans une position statique et que le tir soit jugé excellent s'il
atteint l'un des organes vitaux. Il a demandé au ministre de se
décider "... enfin à réformer cette mauvaise habitude qui consiste
à apprendre aux policiers à tuer avant de leur apprendre la maitrise de leur arme et de la personne à interpeller"
[l2 Le Monde 2-3 janvier 1994]
Le manuel actuel de formation des policiers
[13. Gestes et techniques professionnels d'intervention - Direction du
personnel et de la formation de la police, ministère de l'intérieur et de
l'aménagement du territoire.]
aborde la question de l'emploi des armes a feu dans la section sur la mise en
oeuvre de la règle de la légitime défense (Articles 122-5 et 122-6
du Code pénal). La section sur la légitime défense et le policier
déclare catégoriquement : "L'usage d'une arme par un policier
est un acte grave, extrême, qui a pour unique finalité (c'est nous
qui soulignons) la neutralisation de l'attaque injuste et dangereuse dont il fait l'objet (ou pour defendre la vie d'autrui) mais
non l'élimination de l'individu (c'est nous qui soulignons) qu'il
est chargé de mettre a disposition de la justice."
Le manuel ne fait aucune référence aux normes et traités internationaux qui concernent tout particulièrement les personnels
chargés du maintien de l'ordre, tels que le Code de conduite de
l'ONU pour les responsables de l'application des lois et les
Principes de base de l'ONU sur le recours à la force et l'utilisation des armcs à feu par les responsables de l'application des
lois.
A la connaissance d'Amnesty International, il n'y a pas eu de
réaction du gouvernement, qui n'a pas introduit le moindre changement dans la formation pratique a l'usage de la force et des
armes a feu en vue de répondre a la nécessité d'améliorer les
normes de la police afin qu'elle ait recours au minimum de force
indispensable ; et les normes applicables en matière de droits de
l'homme n'ont pas été explicitement inscrites dans les programmes de formation des policiers.
ENQUETES ET POURSUITES EN CAS D'INFRACTION
Aux termes du Code de procédure pénale, l'exercice de l'action
publique en cas d'infraction incombe aux magistrats du parquet
auprès du tribunal compétent. Les juges d'instruction ne sont pas
habilités à engager l'action eux-mêmes et doivent attendre la
requête des autorités compétentes. [14 CPP art 80]
Les supérieurs hiérarchiques des magistrats du parquet
(sous l'autorité du ministre de la
justice) peuvent leur donner l'ordre d'ouvrir une information
mais, en tant que corps, ils sont libres de décider d'agir ou non,
sauf dans un cas. Ce cas est celui de la personne lésée. Toute
personne lésée par un crime ou un délit peut, en effet, se constituer partie civile en portant plainte dans les formes devant la
justice. Le procureur de la République demandera alors au juge
d'instruction d'ouvrir une information sur cette plainte
[l5 CPP 85 & 86]. La partie civile a accès au dossier de l'instruction
sur le crime ou délit
dont elle s'estime victime et a le droit d'être entendue par le juge
compétent durant l'instruction. Après examen, le magistrat peut
demander le renvoi de l'affaire devant le tribunal compétent
pour qu'il y ait jugement.
Si la partie lésée connait l'identité et le domicile du coupable
présumé, il peut y avoir citation directe contre celui-ci
[l6 CPP 388] qui sera alors jugé par un tribunal pénal.
Des enquêtes internes à la police peuvent être menées par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) sauf lorsque ce
sont des agents dépendant de la préfecture de police de Paris qui
sont concernes. C'est alors l'Inspection générale des services
(IGS) qui doit intervenir.
Normalement, quand quelqu'un est tué par un agent de la force
publique, il appartient au procureur d'ouvrir une information qui
est confiée a un juge d'instruction ; celui-ci est chargé d'etablir
les faits essentiels et de voir s'il y a responsabilité pénale. Il
demande généralement qu'il soit procédé a une enquête quand
des policiers sont impliqués.
Le procureur a l'opportunité des poursuites, ce qui peut être un
point capital étroitement en rapport avec les préoccupations
d'Amnesty International. Dans tous les cas énumérés ci-après, la
cause du décès était connue et n'a jamais été contestée. On
connaissait également l'identité des policiers auteurs des coups
de feu mortels. Il était donc à chaque fois possible d'ouvrir rapidement une information judiciaire pour rechercher les circonstances de la mort et s'il y avait éventuellement responsabilité
pénale devant donner lieu à poursuites.
Or, dans certains cas significatifs, le procureur n'a pas eu
recours à cette procédure, ce qui a eu de graves conséquences
pour les familles des victimes. Aux termes de l'article 74 du
Code de procédure pénale, en cas de découverte d'un cadavre,
qu'il s'agisse ou non d'une mort violente, le procureur ouvre uneenquête. Selon le dernier alinéa de cet article, il peut requerir
information pour recherche des causes de la mort. La procédure
d'instruction ouverte sur cette requête exclut, jusqu'à sa clôture,
toute constitution de partie civile. Dans la pratique, cela peut
signifier que la famille ne sera pas entendue ou n'aura pas accès
au dossier de recherche des causes de la mort. Un tel dispositif
juridique a pour effet de couvrir le policier responsable de l'acte.
Si la famille de la victime veut avoir accès au dossier de l'instruction ainsi menée, elle doit d'abord se constituer partie civile
et, pour cela, demander l'ouverture d'une information. Le procureur sera alors obligé de déclencher l'action publique, dont sera
saisi un juge d'instruction auquel la partie civile aura accès.
Mais, dans cette deuxième instruction, la partie civile ne peut
avoir accès aux informations capitales réunies au cours de la première instruction menée au titre de l'article 74, et cela jusqu'à la
clôture de cette première instruction. Ce déni d'accès à l'instruction, prononcé de manière délibérée quoique
nullement nécessaire par le procureur à l'encontre de la famille de la victime,
cause souvent de grandes inquiétudes à cette dernière et à tous
ceux qui se préoccupent de l'équité.
COUPS DE FEU ET HOMICIDES PAR DES AGENTS
DE LA FORCE PUBLIQUE
Les 11 cas décrits ci-après correspondent à des événements qui
ont eu lieu dans les 18 mois qui ont précédé juin 1994. Dans une
lettre adressée en août 1993 au ministre de l'intérieur (voir ci-dessus), Amnesty International a déclaré qu'à son avis, le recours à la force n'avait pas respecté les normes minimales du
droit international. Tous les cas décrits dans la lettre faisaient
l'objet d'une information judiciaire en cours. Mais, pour illustrer
les préoccupations qu'éprouve Amnesty International devant ces
11 cas, on peut se référer à un cas antérieur dans lequel toutes les
phases de l'instruction et du jugement ont été achevées.
Le 2 février 1988, un policier en civil a ouvert le feu contre un
homme de 26 ans et l'a tué ; il l'avait pris à tort pour un voleur
de voiture sur un parking de Marseille. Christian Dovéro se
trouvait avec son père dans le taxi de celui-ci près d'une voiture
volée que la police surveillait. Christian Dovéro s'était auparavant intéressé à cette voiture volée ; après avoir jeté un coup
d'oeil sur elle, il avait rejoint son père sur le siège avant du taxi.
Un policier s'approcha d'eux, ouvrit brutalement la portière et
visa Christian Dovéro à la tête en tirant à bout portant. Celui-ci
mourut dans les bras de son père. Il avait un casier judiciaire
[17. Le Provençal, 3 février 1988]
vierge et n'etait pas arme. Le policier affirma plus tard que
Christian Dovéro avait fait un geste menaçant contre lui.
Le procureur de Marseille aurait apparemment eu l'intention de
demander l'inculpation du policier pour homicide involontaire et
sa mise en liberté sous contrôle judiciaire. Mais le ministre de la
justice intervint et, contrairement au désir du procureur, insista
pour qu'une information limitée soit ouverte, en vertu de
l'article 74, pour recherche des causes de la mort, alors que celles-ci étaient connues et n'avaient jamais été contestées. Cela
voulait dire que la famille de la victime n'aurait pas accès au
dossier d'instruction (voir plus haut). Le policier fut libéré sans
comparaître devant la justice.
[18. Le Provençal, 5 février 1988]
Une vive controverse s'éleva à la suite de cette décision de
demander uniquement une enquête sur les causes de la mort.
Nombreuses ont été les voix qui ont critiqué publiquement
l'intervention du ministre à qui on a imputé cette décision. Le
Syndicat de la magistrature déclara que, par son intervention, le
ministre avait ".,. donne une preuve supplémentaire de sa
volonte de soustraire certains citoyens au cours normal de la justice"
[19. Le Monde, 6 février 1988]
Le 4 février 1988, le père de Christian Dovéro déposa
plainte avec constitution de partie civile pour homicide volontaire, afin d'avoir accès au dossier d'instruction sur la mort de
son fils. La plainte du père obligea le procureur à ouvrir une
deuxième information sur l'éventualité de "coups et blessures
volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner"
Le policier fut inculpé et écroué.
En juin 1989, il fut jugé coupable d'homicide involontaire par
imprudence et condamné à deux ans avec sursis. Il fut libéré et
reprit son service dans la police. Son avocat attribua plus tard la
mort de Christian Dovéro au manque de formation dans la police
et déclara que le policier avait "obéi a un Etat qui l'[avait] armé,
mal armé, mal formé" et qu'un verdict de condamnation était le
reniement de la police, "ce mal nécessaire" [20. Le Provençal, 17juin 1989]
Les modalités de l'instruction, de la mise en examen et du
jugement dans le cas de ce policier responsable de la mort de
Christian Dovéro font apparaître clairement un certain nombre
de problèmes qui ont un rapport direct avec les préoccupations
d'Amnesty International relatives aux 11 cas qui seront énumérés plus loin.
Le policier s'est approché d'une voiture en stationnement avec
une arme dont le chien avait été relevé et il a immédiatement
ouvert le feu et tiré à bout portant sur un homme non armé qui
ne le menaçait pas. L'emploi de la force n'était pas "strictement
nécessaire" et le policier n'a pas essayé d'utiliser "des moyens
non violents avant de faire usage de la force". Il est impossible
de considérer son action comme "proportionnelle à la gravité de
l'infraction et a l'objectif légitime à atteindre". Amnesty International estime qu'il s'est agi d'un "emploi excessif ou illégal de
la force par un agent de l'Etat" et d'une exécution extrajudiciaire.
L'enquete initiale sur les causes de la mort ne peut être considérée comme rapide ou complète. Le procureur n'a pas mis le
policier responsable du décès a la disposition de la justice pour
qu'il soit mis en examen immédiatement après l'homicide. Le
ministre de la justice est intervenu et a ordonné l'exécution
d'une forme d'enquête limitée et nullement satisfaisante, en vue
d'établir un fait qui était déjà connu et n'était absolument pas
contesté. Il semblerait qu'il soit intervenu, contre l'avis du procureur, afin de protéger le policier pour des motifs politiques.
Ainsi, par une subtilité juridique, la famille de la victime n'a pas
pu avoir accès au dossier de l'instruction et a été obligée d'agir
de son côté pour avoir accès à ces pièces. Sa démarche a forcé le
procureur à entamer l'enquête approfondie qu'il aurait dû ouvrir
immédiatement après l'homicide.
Il a fallu attendre un an pour que le procès ait lieu et qu'une
condamnation de pure forme soit prononcée alors qu'il s'agissait
d'une infraction grave.
Le policier responsable n'avait pas reçu la formation voulue et
n'était pas armé correctement. Rien n'a été fait pour remédier à
cette situation par l'introduction de programmes de formation
adéquats et d'un armement correct.
Les violations des normes et critères internationaux illustrées
par le cas de Christian Dovéro se retrouvent dans les 11 cas énumérés ci-après. Cinq ans ont passé et rien ne
montre que le gouvernement ait pris les mesures voulues pour garantir que le système judiciaire et les responsables du maintien de l'ordre remplissent leurs obligations au regard des normes et
critères internationaux.
Le cas d'Eric Simonté
Le 15 décembre 1993, le tribunal correctionnel de Chambéry
(Savoie) a jugé un sous-brigadier de la police coupable d'homicide involontaire. Le 4 avril 1993, ce policier avait, lors d'une
patrouille, découvert trois jeunes en train de voler des pneus de
voiture. Deux jeunes furent interpellés sans difficulté et le policier se dirigea ensuite vers Eric Simonté (18 ans) pour lui passer
les menottes. Pour une raison qu'il a été incapable d'expliquer,
le policier avait dejà sorti son arme, un revolver Magnum .357,
et avait le doigt sur la détente. Il tira une balle qui traversa le
crâne d'Eric Simonté pendant qu'il lui passait les menottes. Eric
Simonté mourut à l'hôpital quelques heures plus tard. Quatre
jours après l'incident, le ministre de l'intérieur suspendit le sous-brigadier.
Lors du procès, le procureur, décrivant l'événement, dit qu'il
s'agissait d'une "faute grave" et d"'une erreur inadmissible dans
la technique d'interpellation". A sa requête, le tribunal condamna le sous-brigadier à un an de prison avec sursis pour homicide
involontaire .
Le cas de Makomé M'Bowole
Le 6 avril 1993, la police du 18" arrondissement de Paris a arrêté
trois jeunes, dont deux mineurs, qui auraient volé des cigarettes.
Ily a beaucoup d'immigrés dans ce quartier et les habitants se
plaignent des contrôles d'identité incessants de la police et de
son manque genéral de considération.
L'un des jeunes gens arrêtés était un garçon de 17 ans, Makome M'Bowole, né au Zaire. Il a été conduit au poste de police
des Grandes-Carrières ou il a été interrogé par un inspecteur de
police. Après deux heures d'interrogatoire, il a eté placé en
garde à vue et le procureur a été informé, conformément à la
procédure normale. Vers midi, le procureur ordonna la levée de
la garde à vue pour les deux mineurs. L'un fut relâché peu après
midi, après que ses parents eurent été contactés ; apparemment,
les parents de Makomé M'Bowole ne purent être contactés. Le
policier continua son interrogatoire et, vers 17 heures, tira sur le
mineur et le tua. Selon les déclarations que lui-même et d'autres
policiers firent aux membres de l'IGS qui menèrent une enquête
interne, Makomé M'Bowole avait proféré des menaces verbales
contre le policier qui avait alors pris son arme dans un tiroir et
l'avait placé contre la tempe de Makomé M'Bowole ;le coup
était parti. Après le coup de feu, le policier aurait dit : "J'ai
voulu lui faire peur.
[21. Le Monde, 8 avril 1993.]
" Il a été immédiatement conduit en prison
et une information a été ouverte pour homicide volontaire. L'affaire est toujours en cours d'instruction.
Le cas de Rachid Ardjouni
Le 7 avril 1993, une patrouille de police a été appelée à venir enquêter auprès d'un groupe de jeunes en train, disait-on, de "faire
le rodéo" dans une cité de Wattrelos (Nord).
Rachid Ardjouni, jeune de 17 ans d'origine algérienne, faisait
partie du groupe. Il s'enfuit à l'arrivée de la police et un sous-brigadier lui courut après. Quand il le rattrapa, il avait les menottes dans une main et son arme dans l'autre. Rachid Ardjouni
n'était pas armé et n'a pas, semble-t-il, opposé de resistance à
son arrestation. Le policier, qui était legerement ivre, le saisit et
le jeta au sol, face contre terre. Il posa un genou sur son dos pour
lui passer les menottes puis lui tira une balle dans la tête. Rachid
Ardjouni mourut deux jours plus tard à l'hôpital sans avoir repris
connaissance .
Après son acte, le policier a été mis en examen pour avoir usé
de violence avec arme ayant entraîné une infirmité permanente.
Contre l'avis du procureur, le juge laissa le policier en liberté
sous contrôle judiciaire.
Après le decès de Rachid Ardjouni, le 9 avril 1993, le procureur requit l'ouverture d'une information pour recherche des
causes de la mort en vertu de l'article 74 (voir ci-dessus). Et
cela, en depit du fait que la cause de la mort etait connue et nullement contestée. La famille de la victime se constitua partie
civile en portant plainte pour "coups et blessures volontaires
entraînant la mort sans intention de la donner". Le procureur fit
en outre appel contre la mise en liberté du policier. Le président
de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Douai soutint
cet appel en faisant observer que l'... le policier était doublement
fautif au regard de la régularité de l'intervention puisqu"il [etait]
intervenu une arme à la main et en état d'ébriété". L'affaire est
toujours en cours d'instruction.
[22. Libération, 5 mai 1993.]
Le cas de Fabrice Omont
Le 14 avril 1993 à Cherbourg (Manche), deux motards de la
police ont donné la chasse à une voiture volée conduite par Fabrice Omont, apprenti mécanicien de 15 ans. Sortant de la ville,
ils prirent la route en direction de Beaumont-Hague. Selon un
article paru dans la presse [23. L'Humanité, 15 avril 1993]
, la police aurait déclaré que le conducteur de l'automobile
conduisait de maniere dangereuse et
avait cherché à plusieurs reprises à accrocher ou à renvuerser les
motards, Une fois sur la route hors de la ville, un des policiers a,
selon ses déclarations, tiré en l'air un coup de semonce dont il
n'a manifestement été tenu aucun compte. L'autre policier a
affirmé qu'il s'était avance a la hauteur du vehicule pour tirer
dans le pneu avant gauche. Toutefois, par suite à la fois d'un
possible écart du véhicule et de la décélération de sa moto, il rata
le pneu et la balle atteignit le conducteur dans le dos.
[24. Liberation, 15 avril 1993]
Le policier fut placé en garde a vue et une enquête administrative ouverte par l'IGPN pour blessures involontaires. Il fut relâché le lendemain mais suspendu dans l'attente des résultats de
l' enquête.
Le procureur fit observer qu"'il ne devait se servir de son arme
qu'en cas de légitime defense" [25. Liberation, 15 avril 1993]
. Et on peut lire ce qui suit dans
le manuel de formation de la police : "S'il existe pour le policier
la moindre possibilite d'eviter, sans conséquence grave pour lui-même ou pour autrui... l'attaque injuste... il doit opter pour cette
solution plutôt que d'utiliser son arme Par exemple, si un véhicule se dirige délibérément sur le policier et que celui-ci a la
possibilité matérielle et le temps de s'écarter... il doit privilégier
cette solution plutôt que d'utiliser son arme. Une fois le véhicule
passe, les conditions de la légitime défense n'étant plus réunies,
l'usage de l'arme par le policier est à proscrire."
Le cas de Maftah Belkham
Dans la nuit du 8 juin 1993, quatre jeunes ont cambriolé une
boutique de sports à Firminy, près de Saint-Etienne (Loire).
Deux policiers surveillaient la devanture de la boutique. Selon
les informations parues dans la presse
[26. Le Progrès, I0juin 1993 ; Libération, 10 juin 1993.
trois jeunes s'enfuirent
mais un policier s'avança pour appréhender le quatrieme, Maftah
Belkham, un jeune de 19 ans d'origine algérienne, alors qu'il
sortait de dessous le rideau métallique brisé les bras chargés de
vêtements volés. Se redressant, Maftah Belkham frappa le policier en haut de la cuisse avec un tournevis. Le policier avait sorti
son arme et avait la main sur l'épaule du jeune : un coup partit a
bout portant et atteignit à la tête Maftah Belkham qui mourut
ensuite à l'hôpital. Le policier se fit soigner pour sa blessure à la
cuisse, profonde de 10,5 cm, et put immédiatement sortir de
l'hôpital.
Le procureur de Saint-Etienne demanda à l'IGPN d'ouvrir une
enquête interne. Le lendemain de la mort de Maftah Belkham, il
avait dit, selon la presse [27. Libération, 10 juin 1993.]
"Bien qu'il soit trop tôt pour se prononcer, il semble acquis
que nous n'avons pas affaire à une
bavure" (euphémisme pour désigner une sale affaire risquant
d'avoir des conséquences mortelles). "Le fonctionnaire de police
a ouvert le feu dans l'action lorsqu'il a senti sa vie en danger,
dans l'impossibilité d'apprécier la nature de l'agression dont il
était l'objet." Après avoir pris connaissance du rapport de
l'IGPN, le procureur conclut que le policier avait agi en état de
legitime défense. Il a déclare à Amnesty International qu'il trouvait parfaitement compréhensible que, dans la nuit, on s'approche une arme à la main d'un endroit où un acte criminel était en
train d'être commis. Il a nié que la réaction du policier ait été le
moins du monde disproportionnée. Aucune autre mesure n'a été
prise.
Amnesty note que le policier avait sorti son arme alors que sa
vie n'était pas immédiatement menacée et qu'il avait tiré à bout
portant alors qu'il était dans l'impossibilité d'apprécier le danger. Amnesty International estime que sa reaction a été disproportionnée par rapport à l'attaque dont il a fait l'objet et note
qu'il n'a fait manifestement aucun effort pour neutraliser son
assaillant en le saisissant à bras le corps pour l'arrêter mais qu'il
lui a au contraire tiré une balle dans la tête.
Le cas de Franck Moret
Le 25 juillet 1993 à l'aube, Franck Moret, ingénieur de 19 ans
qui rentrait chez lui en voiture avec une compagne après avoir
été à une soirée, a été tué par balle par un gendarme dans les
environs de Saint-Barthelemy-de-Vals (Drôme). Sa voiture avait
été prise en chasse par les gendarmes. On ne connaît pas encore
tous les détails de l'incident. Il semble qu'à la fin de la poursuite,
les gendarmes se soient rapprochés de la voiture de Franck Moret qui était arrêté, et que la voiture se soit soudain mise en marche, projetant à terre un gendarme. Selon les déclarations des
gendarmes, le véhicule lui est passé sur les jambes. Mais cette
affirmation ne semble pas corroborer le compte rendu de l'examen médical de ses blessures ; il aurait eu une entorse a la cheville gauche et des érosions épidermiques sur divers endroits du
corps [28. Le Dauphiné Libéré 19 juillet 1993.]
Le gendarme qui avait été projeté à terre a déclaré qu'il
s'était relevé et avait tiré neuf coups de feu en direction de
Franck Moret pour se défendre, le tuant finalement d'une balle
dans la tête. Un autre gendarme s'est blessé à la main en essayant d'enfoncer une vitre de la voiture.
Cette version des faits a été contestée dans la mesure où la
compagne de Franck Moret a déclare que celui-ci avait paniqué
parce qu'un des gendarmes avait pointé son arme dans sa direction à l'intérieur de la voiture et qu'il avait accidentellement renversé le gendarme. Elle a nie que le véhicule soit passé sur les
jambes du gendarme.
Une information judiciaire a été ouverte et la famille a porté
plainte contre le gendarme pour homicide volontaire. La compagne de la victime, Géraldine Plénet, a déposé une plainte pour
tentative d'homicide volontaire. En juin 1994, l'enquête n'était
pas encore close et Amnesty Intemational a constaté la lenteur
de la prucédure. Bien que Franck Moret ait été tué en juillet
1993, le juge d'instruction n'aurait interrogé qu'en septembre
1993 le gendarme auteur des coups de feu mortels.
Amnesty International considere que le gendarme n'a pas essayé
de maitriser la situation en recourant au minimum de force, comme la loi l'exige. Aucun des occupants de la voiture n'était armé
et il est difficile de croire qu'en tirant neuf coups de feu en direction de deux personnes assises, le gendarme ait réagi de façon proportionnée au danger auquel il était éventuellement exposé.
Le cas de Romuald Duriez
Peu avant minuit, dans la nuit du 5 octobre 1993, la police a reçu
un coup de teléphone anonyme lui signalant qu'un cambriolage
etait en cours dans un magasin de Trébon, dans la banlieue nord
d'Atles (Bouches-du-Rhône). A l'arrivée de la voiture de police,
l'un des cambrioleurs a pris la fuite, mais Romuald Dunez, 21
ans, a été abattu par un policier. Romuald Duriez n'était apparemment pas armé, mais on aurait trouvé sur lui des pinces coupantes et une bombe lacrymogène [29. Le Méridional, 9 octobre 1993.]
Le procureur de Tarascon a ouvert une enquête sur le policier
inculpé d'homicide involontaire ; cet instruction suivait toujours
son cours au moment où nous écrivions ces lignes. Amnesty
International est préoccupée cependant du fait que, selon toute
vraisemblance, un policier ait utilisé une arme à feu contre un
individu qui n'était pas arme, alors que sa vie n'était pas clairement en danger. Les moyens utilisés étaient disproportionnés par
rapport à l'objectif à atteindre ; Amnesty International déplore
qu'il n'ait pas tenté d'avoir recours à d'autres moyens pour maîtriser la situation.
Le cas de Mourad Tchier
Le 27 decembre 1993, aux environs de 22 heures, la police a pris
en chasse une voiture volee avec quatre occupants a son bord
jusqu'à Saint-Fons, dans la banlieue de Lyon. La voiture s'est
arretée et les quatre occupants se sont enfuis à pied. Mourad
Tchier, un jeune homme de 19 ans d'origine algérienne, et deux
de ses compagnons se sont mis à escalader une falaise escarpée
sans eclairage. Mourad Tchier portait une veste jaune moutarde
et n'était pas armé.
Un brigadier chef s'est lancé à sa poursuite. D'après les récits
publiés dans la presse
[31. Le Progrès, 29 décembre 1993 ; Libération, 29 décembre 1993]
la police aurait affirmé que le brigadier
avait vu Mourad Tchier grimper le long d'une butte rocailleuse
et que lorsqu'il s'était trouvé à quatre ou cinq mètres de lui, il
avait cru que Mourad Tchier brandissait un objet. Le brigadier a
alors degainé son arme et l'a abattu. Il aurait ensuite déclaré aux
policiers de l'IGPN charges de l'enquete : "Je me suis senti menacé." Mourad Tchier a été abattu d'une balle dans le dos, à travers l'omoplate. Au bas de la butte rocailleuse, la police aurait
découvert un pied de lit.
Le procureur de Lyon a, de façon surprenante, demandé l'ouverture d'une information, conformement à l'article 74 du Code
de procédure pénale (voir ci-dessus), afin de rechercher les
causes de la mort. Cette décision a été largement interprétée
comme une tentative des autorités de protéger le policier. Le
2 février 1994, la famille de la victime, qui a ete exclue de l'instruction, a officiellement porté plainte pour homicide volontaire,
obligeant ainsi le procureur à ouvrir une autre instruction sur la
base de la plainte déposée par la partie civile. C'est ainsi que la
famille a pu avoir accès à l'instruction.
En août 1994, les résultats de l'enquête menée par l'IGPN
n'avaient toujours pas été dévoilés. Le policier qui a tiré n'a
cependant été mis en examen qu'une fois la plainte déposée par
la partie civile. Amnesty International a été informée que le policier n'avait pas été placé sous contrôle judiciaire et qu'il n'avait
pas été mis en détention.
Les détails de cet homicide ne seront connus qu'une fois
l'affaire classée, et au moment ou nous écrivons ces lignes, l'enquête était protegee par un reglement conçu pour garantir le
secret de l'instruction. Cependant, sur la base de ce que l'on sait,
on a de la peine à croire que la vie du policier était en danger ou
qu'il n'a utilise son arme qu'en dernier ressort, comme le prévuit
la loi. Le principe de proportionnalité entre le geste de défense et
la gravité de l'attaque semble également avoir été bafoué. Si les
autorités judiciaires n'ont pas décidé plus tôt d'enquêter sur
toutes les circonstances de cet homicide, c'est parce que l'article
74 a été invoqué. La procédure suivie dans un premier temps
violait également de façon flagrante les normes internationales
qui disposent que la famille du défunt et son conseiller juridique
doivent avoir accès à toute information relative a l'instruction.
Le cas d'lbrahim Sy
Dans la nuit du 26 au 27 janvier 1994, deux gendarmes circulant
à bord d'une voiture de police ont été appelés dans le parking
d'un hôtel de Val-de-Reuil, pres de Rouen (Seine-Maritime), La
personne qui avail appele avait déclaré que des individus cambriolaient des voitures. D'après les articles parus dans la presse
[32. Paris-Normandie, 28 janvier 1994]
les gendarmes ont déclaré qu'ils avaient surpris trois jeunes
gens en train de cambrioler des voitures. Les jeunes gens ont
réussi à regagner leur véhicule et ont commencé à rouler en
direction des gendarmes garés à l'entrée du parking. Ces derniers ont sorti leurs armes et, selon leurs dires, ont fait les sommations d'usage ; puis l'un d'entre eux a tiré deux coups de feu
sur la voiture qui a cependant réussi à s'échapper. Aux environs
de deux heures du matin, le corps de l'un des passagers, Ibrahim
Sy, était retrouvé devant la gendarmerie d'Oissel ; il y avait été
déposé par ses camarades. Une instruction a alors été ouverte.
Selon la déclaration faite par la Direction regionale de la gendarmerie a la presse [33. Agence France-Presse, 27janvier 1994]
, "... il ne [faisait] aucun doute que les conditions légales
d'utilisation de l'arme de service étaient réunies".
Ibrahim Sy, un jeune homme de 18 ans d'origine sénégalaise,
vivait dans le quartier des Sapins, à Rouen. La nouvelle de sa
mort a provoqué des émeutes qui ont duré trois jours. Le procureur d'Evreux a ouvert une instruction pour coups ayant entraîné
la mort sans intention de la donner. Le 32 janvier 1994, la famille d'Ibrahim Sy s'est constituée partie civile et a porté plainte
contre X pour meurtre.
Le 31 janvier 1994, les deux compagnons d'Ibrahim Sy se sont
rendus à la gendarmerie. Le ler février, le journal Paris-Normandie publiait une interview enregistrée des deux hommes. Celui qui conduisait la voiture affirme que la voiture de gendarmes
s'est arrêtée à l'entrée du parking et qu'un gendarme en est sorti
et a mis un genou en terre, l'arme au poing. Il a alors déçidé de
conduire lentement la voiture vers la sortie, à environ 20 ou 30
kilomètres/heure pour que le gendanne ne tire pas. Il n'a accéléré qu'une fois que le gendarme ne se trouvait plus devant la
voiture. Ce dernier a alors ouvert le feu, tuant Ibrahim Sy et faisant éclater les vitres arrière.
En août 1994, l'instruction n'avait toujours pas abouti, mais
Amnesty International a noté certains points préoccupants. La loi
prévoit le cas de légitime défense à condition que les moyens de
défense ne soient pas disproportionnés par rapport à la gravité de
l'agression. Dans les deux versions des faits décrites ci-dessus,
les gendarmes auraient pu éviter la voiture en se mettant de côte
ou derrière leur véhicule. Qui plus est, on ne voit pas très bien
comment le fait de tirer sur le passager et de le tuer pourrait
faire stopper une voiture. Les directives réglementant le recours
aux armes établissent clairement que, s'il est possible d'éviter
une voiture qui se dirige sur un agent, il faut privilegier cette solution et qu'une fois le véhicule passé, l'agent de la force publique ne doit plus se servir de l'arme.
Les cas de Joel Nebor et de Frédéric Adom
Le 2 juin 1994, un policier qui n'était pas en service se trouvait
dans une boutique, a Paris, où il contemplait une collection de
pieces de monnaie rares : une petite partie de la boutique est
affectée au change. D'apres des articles de presse
[34. Le Monde, 4 juin 1994 ; Libération, 4 juin 1994]
deux hommes ont fait irruption dans la boutique et se sont mis à casser des
vitrines. Ils ont ensuite saute par-dessus le comptoir et attaque le
propriétaire qui se trouvait là avec une amie. L'un des assaillants
a jeté une chaise sur le policier, qui est tombe au sous-sol. Le
propriétaire a réagi à cette attaque en utilisant une matraque
électronique ; voyant que cela ne servait à rien, il a sorti un pistolet à balles de caoutchouc et a tiré deux fois.
Selon les declarations faites par la suite aux policiers de l'IGS, cela s'est également révélé inutile. Le policier a alors sorti son arme de service
et a tiré six coups de feu depuis l'autre côté du comptoir en direction des deux assaillants. Il les a tués tous les deux et a blessé
l'amie du proprietaire à la jambe.
Ni Joel Nebor, ni Frédéric Adom, deux Antillais de 25 ans, ne
portaient ostensiblement d'arme. Amnesty International a été
informée que l'un d'eux était en possession d'un couteau et
d'une grenade lacrymogéne, mais il semblerail qu'aucune de ces
armes n'ait été utilisée lors de la tentative de cambriolage, et le
policier n'était apparemment pas au courant de leur existence.
Le policier a été mis en examen le 4 juin 1994 sous l'inculpation de violences ayant entraîiné la mort sans intention de la donner avec usage d'une arme. Il a été plaçé en detention provisoire.
Le 24 juin 1994, le tribunal a ordonne sa liberation et, en août
1994, l'instruction suivait toujours son cours.
Amnesty International est préoccupee du fait que le policier,
qui affirme avoir agi en situation de légitime défense à l'egard
d'autrui, n'a apparemment fait aucun effort pour tenter de neutraliser les assaillants afin de protéger le propriétaire et son
amie; il a immediatement eu recours a la force meurtriere, ce
qui est contraire aux dispositions du droit international et du
règlement de la police. La vie du policier n'était pas en danger et
rien ne prouve que celle du propriétaire et de son amie l'ait été.
ALLEGATIONS DE MAUVAIS TRAITEMENTS INFLIGES
PAR DES AGENTS DE LA FORCE PUBLIQUE
Le système judiciaire français prévoit différents moyens d'enquêter sur les délits de mauvais traitements et d'en poursuivre
les responsables. L'un des éléments essentiels de ce système est
l'impossibilité pour le juge chargé de l'instruction de se saisir de
l'affaire et par conséquent d'ouvrir une instruction de son propre
chef. En droit penal, le procureur a le monopole de l'action
publique et c'est lui qui doit demander l'ouverture d'une enquête. Les deux moyens les plus courants d'ouvrir une instruction
sont les suivants : lorsque le procureur, de son propre chef, ayant
eu connaissance d'une éventuelle infraction, requiert l'ouverture
d'une instruction, ou lorsque la victime ou sa famille portent
plainte avec constitution de partie civile. Dans le second cas, si
la plainte est déposée dans les formes, le procureur est obligé de
demander l'ouverture d'une instruction.
Cependant, engager des poursuites contre la police est souvent
un exercice décourageant pour la victime ; c'est un processus
lent, interminable et coûteux, qui débouche souvent sur un échec
en raison du manque de preuves. Dans les rares cas où l'on
aboutit à une condamnation, les peines infligées sont dérisoires.
Ainsi, en décembre 1986, Malik Oussekine, étudiant d'origine
algérienne âgé de 22 ans, est mort après que la police parisienne
l'eut gravement blessé à coups de pied et de matraque. L'enquête a établi un lien entre la cause du décès et
l'intervention policière dont il avait été la victime. En janvier 1990, deux policiers
accusés de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort
sans intention de la donner ont été condamnés respectivement à
des peines de deux a cinq ans de prison avec sursis. Ils n'ont pas
passé une seule journée en prison avant leur proces et par décision de la cour la condamnation du plus jeune n'était pas inscrite
dans son casier judiciaire. L' aîné était déjà à la retraite.
A Paris, en avril 1993, une vague de manifestations et d'arrestations a suivi la mort de Makomé M'Bowole (voir ci-dessus),
abattu au commissariat des Grandes-Carrières. De violents incidents ont eu lieu pendant les manifestations, mais les personnes
arrêtées et citées ci-dessous nient catégoriquement avoir eu
recours à la violence. Elles ont toutes déclaré que la police leur
avait inflige des mauvais traitements dans la rue et dans les commissariats des Grandes-Carrières, du Mont-Cenis et de la Goutte
d'Or. Dans certains cas, les mauvais traitements se seraient accompagnés d'insultes racistes.
Philippe Gibes, coursier de 25 ans, et Salim Hadjadj, étudiant
de 19 ans, ont déclaré avoir assisté en tant qu'observateurs à une
grande manifestation, le 7 avril 1993, dans le 18e arrondissement, mais ne pas y avoir pris part. Philippe Gibes a ete interpellé par quatre ou cinq policiers en civil et
affirme que ces derniers l'ont menotté, lui ont donné des coups de poing et de pied,
et que l'un d'entre eux l'a battu à coups de matraque. Salim
Hadjadj affirme que les policiers l'ont roué de coups à plusieurs
reprises, jusqu'à ce qu'il perde connaissance, et qu'ils ont proféré à son égard des insultes racistes, et plus particulièrement
antisémites. Au commissariat de police du Mont-Cenis, on les a
obligés à s'agenouiller, face au mur, menottés, pendant une
heure et demie. Ils ont ensuite éte transférés au poste de police
de la Goutte d'Or, où les mauvais traitements ont continué. Un
médecin de service a ordonné que Salim Hadjadj soit emmene
au service des urgences pour s'y faire soigner.
Yves Zaparucha, étudiant de 24 ans qui avait pris part à la
manifestation du 7 avril 1993, a déclaré avoir quitté la manifestation pour rentrer chez lui avec trois autres personnes ; il aurait
alors été interpellé par des policiers en uniforme et trainé au
commissariat du Mont-Cenis. Pendant le trajet, il a été frappi a
coups de poing, de pied et de matraque. Arrivé au commissanat,
il a été menotté et obligé à s'agenouiller face au mur. Dans le
courant de la journée, il a été transféré au commissariat des
Grandes-Carrières où il a remarqué qu'il urinait du sang. II a été
conduit à l'hôpital où il est resté jusqu'au 13 avril 1993.
Thomas Darnal, musicien de 29 ans, a été arrêté le 8 avril
1993 par des policiers en civil alors qu'il se rendait à son travail.
Il a déclaré avoir été jete à terre, frappé à coups de poing, de
pied et de matraque. Il a été emmené au commissariat du Mont-Cenis où les policiers l'ont battu et ont profere des menaces et
des insultes racistes à son égard. Il a ensuite été transféré au
commissariat de la Goutte d'Or où un policier en civil lui a
donné un coup de poing dans les testicules. Puis, toujours entre
les mains de la police, il a éte emmcrié à l'hôpital où on lui a
délivré un certificat médical mentionnant notamment quatre
points de suture à l'arcade sourciliere et une blessure grave a la
main gauche.
Le tribunal correctionnel de Paris a entendu 23 personnes
inculpées de differentes infractions, notamment coups et blessures, rébellion et outrages. A chaque fois, le tribunal a accepté
la version des faits de la police et tous les accusés ont été
condamnes a des peines de deux a trois mois de prison avec sursis. Dix d'entre eux, dont ceux mentionnés ci-dessus, ont chacun
porté plainte ; en août 1994, ces plaintes faisaient toujours
l'objet d'une enquête judiciaire. Le 10 décembre 1993, le juge
chargé de l'instruction de la plainte déposée par Philippe Lescaffette a mis en examen deux policiers pour violences illégitimes. Les instructions concernant les plaintes déposées par les
autres personnes étaient toujours en cours.
En 1994, plusieurs manifestations ont été organisées dans toute
la France pour protester contre les pressions économiques et les
mesures de création d'emploi entraînant la réduction du salaire
minimal.
Le 17 mars 1994, une manifestation de grande envergure, largement pacifique, a été organisée a Bordeaux pour protester
contre un décret concernant le Contrat d'insertion professionnelle (CIP). Le journal Sud-Ouest a relaté les cas suivants dans
son numéro du 21 mars 1994. David Ledormeur a affirmé avoir
éte appréhendé par des policiers en civil qui l'avaient poursuivi
jusque dans un magasin. Là, les policiers lui ont passé les
menottes et l'un d'eux lui a braqué son revolver sur le visage. Ils
l'ont ensuite jeté dans une voiture et frappé au visage. Jean
Fuchs a déclaré qu'il avait été arreté par deux policiers en civil
portant des brassards rouges. Il a été menotte, tire par les cheveux, et a reçu des coups de pied et de poing sur la bouche. Il
aurait été blessé au nez et aurait eu une dent cassée.
Des manifestations "anti-CIP" ont egalement eu lieu à Paris le
25 mars 1994. Amnesty International a reçu une plainte concernant le traitement infligé à un jeune pacifiste, Philippe
Dennilauler, qui était assis avec une centaine d'autres pacifistes sur la
place de la Nation, où aboutissait l'une des manifestations. Selon
Philippe Dennilauler, des policiers dtr la Brigade anti-criminalité
(BAC) et de la Compagnie republicaine de securité (CRS) ont
encercle leur groupe et l'ont arrêté lui, et quelques autres, au
hasard. Les policiers les auraient humiliés verbalement et leur
auraient craché au visage. Philippe Dennilauler, qui est d'apparence rastafari et d'origine antillaise du côté de sa mère, a déclaré avoir également fait l'objet d'insultes racistes : "On va se
faire le rasta... tu n'es qu'une petite merde... Pédé... si j'étais ton
père, je te casserais la tête et je te jetterais par la fenêtre... On te
revoit une fois et tu n'as plus de gueule...". Il affirme également
que les policiers lui ont tiré les testicules.
Il est pratiquement impossible de fournir des preuves à l'appui
des allégations d'insultes ou de mauvais traitements ne laissant
pas de traces physiques. Cependant, le récit de Philippe Dennilauler concernant ces insultes et humiliations a par hasard été
corroboré par une plainte judiciaire deposée par un autre étudiant
arrêté au même moment et au même endroit. Max Blechman,
étudiant en philosophie de New York âgé de 22 ans, en visite à
Paris, a été arrêté au moment où il parlait avec les pacifistes assis
sur la place de la Nation et les filmait. Une fois au poste de
police, il a reussi a enregistrer en cachette une partie de son
interrogatoire : "Ici c'est pas les Etats-Unis... On lapide pas les
policiers impunément... Au lieu de faire ta télé tu ferais mieux
d'apprendre le français.. Espece de connard... Génération de
dégénérés... Nation de merde... C'est juste bon à bouffer du
hamburger... " Max Blechman a été accusé d'avoir jeté des
pierres sur des policiers ; il a ete détenu pendant 48 heures puis
placé en détention provisoire pendant quatre jours avant d'être
finalement remis en liberté sous caution.
[35. Libération, 28 avril 1994]
Amnesty International a reçu plusieurs plaintes pour mauvais
traitements infligés à l'occasion de controles d'identité. En vertu
de la loi, tout individu doit être en mesure de prouver son identité et peut etre gardé en détention jusqu'à ce qu'il le fasse. Une
législation stricte a été introduite en 1993 en vue d'autoriser des
contrôles d'identité plus sévères afin de lutter contre l'immigration illégale.
Tameem Tagi, un homme d'affaires de 27 ans de nationalité
française, est le fils d'un ancien diplomate du Bahre‹n. Le soir du
29 juin 1993, il se trouvait avec des amis dans un restaurant. La
police, appelee au sujet d'un désaccord concernant la facture, a
contrôle l'identité des personnes présentes. Le problème a été
réglé. Mais Tameem Taqi affirme qu'une fois à l'extérieur, il a
été interpellé par les mêmes policiers, qui l'ont menotté et
poussé sur le plancher de leur fourgon. Ces derniers l'ont ensuite
agressé devant témoins, lui donnant des coups de pied, de poing
et de matraque. Une autre personne du groupe a également été
arrêtée. Les deux hommes ont ete emmenés à l'hôpital où les
policiers ont continue a les maltraiter et a proférer des insultes
racistes à leur égard.
Le 30 juin 1993, Tameem Taqi a été entendu par le procureur,
qui a prolongé sa garde à vue en dépit de ses lésions physiques.
Ce dernier n'a rien entrepris d'autre pour enquêter sur l'origine
des blessures que de demander un rapport de police interne à
l'IGS. Tameem Taqi a été mis en examen pour coups et blessures
volontaires, outrages et rébellion. Le jour suivant, il s'est constitué partie civile et a porté plainte contre les policiers pour torture et insultes, et contre le procureur pour attentat à la liberté.
Quatre policiers ont été mis en examen et un brigadier a été place
en détention provisoire pour coups et blessures. L'enquête portant sur les deux plaintes suivait toujours son cours en aout 1994.
Le 15 juillet 1993, Moufida Ksouri, ressortissante française
d'origine tunisienne âgée de 24 ans, rentrait d'Italie en France
avec trois amis. A la frontiere de Menton-Vintimille, la police
italienne a contrôlé leur identité. Moufida Ksouri n'avait pas ses
papiers ; elle a été emmenée au poste frontière où deux policiers
italiens l'ont déshabillée puis violée. Ils l'ont ensuite emmenée
au poste frontiere français où deux policiers de la police de l'air
et des frontières (PAF) etaient de service. Le sous-brigadier
l'aurait agressée dans les toilettes du poste et l'aurait obligée à
avoir un rapport sexuel avec lui. L'autre policier n'aurait pas pris
part a l'agression. Le 19 juillet 1993, Moufida Ksouri a déposé
une plainte officielle au commissariat de Cannes. Elle a également affirmé que la police avait proféré des insultes racistes a
son égard. Selon les articles parus dans la presse
[36. Nice-Matin, 5 août 1993] l'IGPN a
reçu l'ordre d'ouvrir une enquête et un magistrat français a mis
les deux policiers en examen pour attentat à la pudeur sous la
contrainte par personne ayant autorité. L'un des policiers a été
place en détention provisoire, l'autre a eté mis en liberté sous
contrôle judiciaire. Le policier détenu a reconnu avoir eu des
rapports sexuels oraux avec Moufida Ksouri, mais a affirmé
qu'elle l'avait provoqué. Les deux douaniers italiens ont également été arrêtes et mis en examen le 6 août 1993. Le 14 juillet
1994, un tribunal de San Remo les a condamnes à cinq ans et
huit mois de prison. En août 1994, l'instruction n'avait toujours
pas abouti en France.
Le soir du 10 decembre 1993, Rachid Harfouche, ressortissant
fIançais d'origine algérienne âgé de 20 ans, rentrait chez lui
lorsqu'il a vu une voiture de police s'arrêter devant l'immeuble
où il vivait avec sa famille, à Noisy-le-Sec, dans la banlieue est
de Paris. D'après ses déclarations, trois policiers seraient sortis
de la voiture et se seraient mis à courir dans sa direction. Rachid
Harfouche a pris peur et s'est mis à grimper les escaliers menant
à l'appartement de ses parents. D'après la police, il aurait été
interpellé devant la porte de ses voisins pour un simple contrôle
d'identité. Il a été menotté les mains dans le dos, et des membres
de sa famille ainsi que des voisins ont vu deux policiers le frapper avec des matraques. Rachid Harfouche a été emmené en bas
de l'immeuble, suivi par des membres de sa famille et des voisins. La police a continue de le frapper et il a commencé à vomir
après avoir reçu un coup violent au thorax. Les personnes présentes ont tenté à plusieurs reprises de faire cesser l'agression et
la police a eu recours au gaz lacrymogène pour faire évacuer le
hall. Rachid Harfouche a été traîné dehors et, selon son père, a
été battu à coups de poing et de pied pendant qu'il gisait, menotté, face contre terre. Il a été emmene au commissariat de
Noisy-le-Sec, où il a été inculpé pour outrage à agents et ausculté par un médecin de service. Un certificat médical, délivré le
jour suivant, après qu'il eut reçu des soins à l'hôpital, fait état
d'une fracture au nez et de multiples lésions à la gorge, a la poitrine, au dos et aux poignets. Les multiples lésions aux poignets
seraient dues au fait que les menottes étaient particulièrement
serrées. Le 13 décembre 1993, Rachid Harfouche a été ausculté
et radiographié à l'unité de médecine légale d'un hôpital local.
Un certificat médical détaille, à presenter comme élément de
preuve, relevait, notamment, qu'un "... objet contondant (type
matraque)" avait provoqué certaines des lésions.
Lorsque le frère de Rachid, Idris Harfouche, et l'un de ses amis
se sont rendus au commissariat dans la nuit du 10 décembre
1993, ils ont éte fouillés et ont du se soumettre à un contrôle
d'identite. Et lorsqu'ldris Harfouche a refuse de repartir sans
avoir vu son frère, il a été placé en garde à vue. Le 21 décembre 1993, les deux frères ont porté plainte auprès du tribunal
de grande instance de Bobigny pour le traitement que leur avait
infligé la police.
Dans l'après-midi du 15 février 1994. Pierre Kongo, gynecologue de 41 ans originaire de la République centrafricaine, s'est
rendu à la gare du Nord à Paris pour y rencontrer un ami. Il a été
appréhendé par deux agents de la Brigade de controle de la
SNCF, qui lui auraient demandé son billet. Il leur a répondu
qu'il n'avait pas de billet et qu'il attendait un ami. Un policier
lui a demandé ses papiers et il lui a montré son passeport de la
République centrafricaine. Les déclarations faites plus tard aux
autorités sur la suite des evénements ne concordent pas.
Cependant, ce dont on est sûr, c'est que peu après cinq heures le
lendemain matin, Pierre Kongo, qui était toujours en garde à
vue, a dû être soigne a l'hôpital. On lui a délivré un certificat
médical faisant état, notamment, d'une fracture du plancher de
l'orbite droite, qui devait mettre trois semaines à guérir. Après
avoir été soigné, il a été renvoyé au poste de police.
Pierre Kongo affirme qu'après l'avoir arreté, les policiers l'ont
poussé dans les escaliers menant aux bureaux de la SNCF dans
la gare, où ils l'ont menotté les mains dans le dos et jeté par
terre. Un autre policier lui aurait assené un coup de poing alors
qu'il gisait par terre. Lorsqu'un policier l'a soulevé par la nuque,
il a remarqué qu'il saignait du visage sur son imperméable. Les
explications des contrôleurs de la SNCF et des agents de la PAF,
depêchés sur place, ne concordent pas. Entre autres versions,
Pierre Kongo se serait blessé lui-même en tombant accidentellement, il serait tombé sur un banc en essayant de frapper un policier avec le bras, il n'aurait pas eu de menottes à ce moment-là,
il aurait essayé de donner des coups de tête à un policier parce
qu'il était menotté, et il aurait refusé de se laisser fouiller par un
policier, les faisant tous deux basculer sur un banc. Une enquête
de police interne a été ouverte. Pierre Kongo a fait délivrer une
citation directe contre l'un des policiers pour coups et blessures
volontaires. Le policier a été convoqué à comparaître devant le
tribunal correctionnel en octobre 1994.
On a signalé de nombreux cas de mauvais traitements infligés à
des détenus qui avaient été arrêtés sur présomption d'infractions
mineures relatives à la drogue, l'ébriété et des incidents peu
importants sur la voie publique.
David Creygolles, toxicomane de 19 ans, a été arrêté à
Carcassonne (Aude) tôt le matin du 10 février 1993, suspecté
d'être impliqué dans un réseau de trafiquants. Il a été placé en
détention provisoire par la police judiciaire jusqu'à ce qu'il comparaisse devant le juge d'instruction, le 13 février 1993. Il a alors
déclaré au procureur qu'il avait été humilié, laissé complètement
nu pendant de longs moments, menacé sexuellement, frappé aux
oreilles et battu à coups de poing dans le ventre. L'un des policiers l'aurait frappé sur les organes génitaux avec une "baguette
de bambou". Un examen médical a confirmé la présence de
lésions corroborant ses allégations. [37. L'Indépendant, II février 1994.
Le procureur de Carcassonne a transmis le dossier de David Creygolles
a la chambre
d'accusation de la cour d'appel de Montpellier; qui est également compétente en vertu des articles 13 et 224 du Code de procédure pénale pour exercer un contrôle sur les agents de la police
judiciaire. Le 10 février 1994, la chambre d'accusation de Montpellier a ordonné comme mesure disciplinaire la suspension des
deux agents de la police judiciaire qui avaient interrogé David
Creygolles.
Dans la nuit du 21 juin 1993, José Etienne, 23 ans, directeur
d'un centre de vacances, se trouvait à Paris en compagnie d'une
amie. Il semblerait qu'il ait été ivre et que le 22 juin à 2 heures
du matin, il ait tenté de traverser un boulevard sans la prudence
et l'attention requises. Des policiers en uniforme qui passaient
en voiture se sont arrêtés. Si l'on en juge par la plainte officielle
déposée par José Etienne, l'un des policiers, avant de partir, a
fait une remarque raciste dont José Etienne s'est offusqué
[38. Le pere de José Etienne est originaire de la Guadeloupe]
Ce dernier a ensuite été arrêté, menotté et placé dans la voiture de
police où le policier qui l'avait insulté quelques instants plus tôt
lui a tiré les cheveux et l'a giflé. Pendant sa garde a vue, José
Etienne a été emmené à l'hôpital pour une prise de sang. Il a déclaré qu'en revenant au commissariat, le même policier lui a
donné un coup de poing alors qu'il avait les mains menottees
dans le dos ; une fois dans la cellule du commissariat, le policier
lui aurait mis le canon de son revolver sur la tempe et lui aurait
dit : "Si tu bouges, je te fais péter ta sale gueule de négro." José
Etienne a mentionné dans sa déclaration la désapprobation apparente des autres policiers qui ont assisté à la scène. Sa garde à
vue a pris fin le lendemain matin et il s'est fait examiner par un
médecin dans le courant de la journée. Il s'est plaint de douleurs
au visage, aux jambes et au ventre. L'examen médical a révélé
des contusions multiples à l'omoplate gauche, au poignet droit,
aux bras et aux coudes.
Le 25 juin 1993, José Etienne a officiellement porté plainte
contre X pour injure publique à caractère racial, diffamation,
attentat à la liberté et coups et blessures et menaces avec arme.
Une instruction a été ouverte.
Benoit Fustier, un Corse de 18 ans, membre du groupe de
jeunes nationalistes A Conculta Ghjuventù, a été arrêté à Bastia
dans la nuit du 20 janvier 1994 et emmené au commissariat de
Bastia ou il a été inculpé d'outrage a un CRS. Il affirme avoir été
arrêté sans raison autre que son appartenance a ce groupe politique. Il aurait eté giflé et aurait reçu des coups de poing ; le policier qui l'a arreté lui aurait assené un violent coup de polng dans
la région du foie. Quand il a commencé à vomir du sang, il a été
transféré à l'hôpital. On a constaté l'émission d'une selle d'aspect rectorragique consécutive à un traumatisme abdominal. Il
souffrait également de douleurs intenses à l'estomac, de nausées,
de vertiges, de maux de tête et il avait une dent cassée. Il lui a
fallu trois jours d'hôpital pour se remettre. Le 31 janvier 1994,
Benoit Fustier a dépose une plainte judiciaire pour coups et
blessures volontaires et le procureur de la République attaché au
tribunal de grande instance de Bastia a requis l'ouverture d'une
instruction.
Lorsque les policiers l'ont rattrapé, ils l'ont jeté à terre et
l'auraient passé à tabac avant de le menotter. D'apres ses déclarations, les policiers ont cessé de le battre lorsqu'une foule s'est
rassemblée autour d'eux. Il a commencé à vomir et la police a
alors appelé une ambulance pour l'emmener à l'hôpital.
Abdelkader Slimani a été immédiatement emmené au service
des urgences. Il affirme que la police a informé le personnel
médical qu'il s'agissait d'un accidenté de la route.
Dans l'après-midi du 17 mai 1994, Abdelkader Slimani a été
opéré du péritoine à la suite d'une rupture de l'intestin grêle.
Les parents d'Abdelkader Slimani ont officiellement porté
plainte pour coups et blessures.
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
1. Inertie du ministère public
Les procureurs de la République relèvent du ministre de la justice. Le procureur est responsable de l'application de la loi.
Amnesty Internationa1 estime que les procureurs devraient
prendre l'initiative d'appliquer la loi et d'enquêter sur des infractions possibles au lieu d'attendre qu'une partie lésée ait porté
plainte. A l'heure actuelle, la charge de faire en sorte qu'une
information judiciaire approfondie soit ouverte incombe trop
souvent aux victimes ou à leur famille. Dans de nombreux cas,
les parties lésées se sentent obligées de porter plainte en tant que
parties civiles pour faire en sorte qu'il y ait une enquête approfondie. qu'elles aient accès à ses résultats et que leur droit d'etre
entendu soit respecté.
Amnesty International recommande que le ministre de la
justice donne pour instruction aux parquets de jouer un rôle
plus actif en requérant eux-mêmes l'ouverture d'une information judiciaire dans le nombre non négligeable des
affaires dont ils ont connaissance par le fonctionnement normal des tribunaux dans lesquelles sont alléguées des violations des droits de l'homme. Un trop grand nombre de ces
affaires sont actuellement négligées par les procureurs de la
République faute d'un dépôt de plainte par les parties lésées.
2, Accès aux enquêtes
Dans certains cas, les procureurs de la République choisissent de
recourir à la procédure prévue au dernier paragraphe de l'article
74 du Code de procédure pénale pour rechercher les causes
d'une mort. Cela s'est produit même dans des affaires où la personne responsable d'avoir causé la mort était à la disposition des
autorités, avait reconnu avoir joué un rôle dans la mort et où les
causes de celle-ci étaient connues. En pareil cas, les procédures
visées à l'article 74 ne sont pas adaptées sur le plan judiciaire à
la nécessité de procéder à une enquête approfondie. Le fait que
la partie civile soit exclue de l'instruction menée en vertu de cet
article et les retards entraînés par son application ne sont pas
conformes au droit international ni aux exigences de l'équité.
Amnesty International recommande que le ministre de la
justice réexamine totalement l'usage que les procureurs de la
République font des procédures visées à l'article 74 du Code
de procédure pénale.
3. Retards dans les enquêtes et les poursuites
Le droit international insiste beaucoup sur la nécessité d'agir
rapidement pour enquêter sur des plaintes et sur des violations
éventuelles des droits de l'homme. Il requiert également que les
procédures judiciaires ne se prolongent pas pendant une durée
déraisonnable. Les affaires mentionnées dans le présent rapport
et les informations fournies par les magistrats eux-mêmes indiquent que de tels problèmes se posent parce qu'il y a un manque
de personnel et que l'infrastructure du système judiciaire est
insuffisante pour répondre aux besoins actuels.
Amnesty International recommande que le gouvernement
prenne des mesures pour remédier aux retards et aux procédures déraisonnablement longues en accroissant les ressources mises à la disposition du système de justice pénale.
4. La prévention des infractions
Le recours a une force excessive et illégale entraine des violations du droit à la vie et de la prohibition de la torture ainsi que
des peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il
s'agit là d'infractions graves que les procureurs devraient traiter
comme il convient à toutes les phases du processus judiciaire.
Amnesty International recommande que le ministre de la
justice insiste sur la gravité de ces infractions en donnant
pour instruction aux procureurs d'attacher plus d'attention
aux dispositions de la législation sur la légitime defense et, en
particulier, de tenir plus strictement compte de la nécessité
de respecter le principe de proportionnalité en examinant la
legalité de l'usage de la force par des agents de la force
publique. Les procureurs devraient également faire en sorte
que la gravite de ces infractions apparaisse dans leur réquisition au tribunal.
5. Formation des agents de la force publique
Les programmes de formation actuels sur l'utilisation des armes
à feu et le traitement des délinquants donnent lieu à des critiques, et ce depuis de nombreuses années. Les agents de la force
publique eux-mêmes ont pris l'initiative de proposer des changements. La loi insiste à la fois sur la nécessité d'une proportionnalité à la gravité des infractions et sur le caractère extrême de
l'acte consistant à faire usage d'armes à feu. Les textes actuellement utilisés pour la formation soulignent qu'il faut neutraliser,
et non pas tuer, les agresseurs ou les personnes qui risquent de
mettre en danger la vie des autres ou leurs biens. Il est donc
indispensable qu'une formation pratique convenable soit donnée
sur l'usage de la force et des armes à feu et qu'on insiste spécialement sur le fait que la loi veut qu'on maîtrise les délinquants
éventuels en recourant le moins possible à la force.
Amnesty International recommande que les ministres de
Intérieur et de la défense prennent immédiatement l'initiative de réexaminer les cours de formation afin d'améliorer la
compétence professionnelle des agents qui doivent apprendre
à neutraliser les agresseurs en recourant le moins possible à
la force.
6. Connaissance des instruments internationaux
relatifs aux droits de l'homme
Un enseignement des règles et normes internationales en matière
de droits de l'homme et une bonne connaissance de celles-ci
sont indispensables pour prévenir les comportements arbitraires
et abusifs de la part des agents de la force publique.
Amnesty International recommande que l'attention des
ministres responsables de l'enseignement professionnel dispensé aux magistrats, aux avocats et aux agents de la force
publique, ainsi qu'aux fonctionnaires employés dans
d'autres domaines pertinents, soit appelée sur les dispositions pertinentes des instruments internationaux relatifs aux
droits de l'homme. Des heures de cours devraient leur être
expressément consacrées dans les programmes de formation,
et les règlements des différents services devraient, le cas
échéant, se référer explicitement aux règles et normes internationales.
7. Plaintes concernant des agents de la force publique
Le gouvernement a annoncé l'annee dernière la création d'un
Haut conseil de la déontologie de la police nationale, chargé de
conseiller les ministres sur toutes les questions relatives aux
codes professionnels de pratique de la police.
Amnesty International recommande à l'attention du gouvvernement les normes qu'elle a élaborées pour les
Commissions nationales des droits de l'homme.
[39. Proposition de règles à l'usage des commissions nationales des
droits de l'homme, janvier 1993 (AI Index : IOR 40/01/93/F) ]
Elle recommande spécialement au gouvernement d'envisager
l'adoption des normes concernant les communications, la transmission des résultats des enquêtes, la responsabilité des hauts
fonctionnaires et le pouvoir de garantir des recours efficaces.
Appendice
INSTRUMENTS INTERNATIONAUX EN MATIERE DE DROITS DE L'HOMME
QUE LA FRANCE A RATIFIES OU AUXQUELS ELLE A ADHERE
La liste ci-dessous donne les titres de certains instruments
internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels
la France est partie, ainsi que la date de ratification
(suivie de la lettre R) ou d'adhésion (suivie de la lettre A).
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques - 4 novembre 1980 (A)
- Premier protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques - 17 février 1984 (A)
- Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou degradants (ONU) - 18 fevrier 1986 (R)
- Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale - 28 juillet 1971 (A)
- Convention relative aux droits de l'enfant (ONU) -
7 août 1990 (R)
- Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales - 3 mai 1974 (R)
- Convention européenne pour la prévention de la torture et des
peines ou traitements inhumains ou dégradants - 9 janvier 1989(R)
Ce rapport examine un nombre troublant d'informations relatives à des coups de feu, à des homicides et à des allégations de mauvais traitements de la part d'agents de la force publique au cours des
dix-huit mois précédant juin 1994. Une proportion élevée des victimes
sont d'origine des pays du Maghreb, du Moyen-Orient ou
d'Afrique. Les mauvais traitements sont souvent accompagnés d'injures racistes.
Amnesty International estime qu'il existe des problèmes graves
dans la pratique des mesures destinées à assurer le respect de la loi et
ce rapport contient sept recommandations aux ministres de l'Intérieur, de la Justice et de la Défense en vue de réformer le système de formation et de contrôle des agents de la force publique en
France, ainsi que les méthodes actuellement suivies par les procureurs et les tribunaux dans les cas où le recours excessif à la force
par des policiers a causé des blessures et même la mort.
Ce rapport est aussi disponible en adressant à :
(Attention aux fautes d'orthographe dues à l'OCR) SOMMAIRE
- Responsabilité pénale
- Atteintes à la personne humaine
FORMATION DES AGENTS DE LA FORCE PUBLIQUE
ENQUETES ET POURSUITES EN CAS D'INFRACTION
COUPS DE FEU ET HOMICIDES PAR DES AGENTS DE LA FORCE PUBLIQUE
Christian Dovéro, Fevrier 1988, Marseille
Eric Simonté, Avril 1993, Chambéry
Makomé M'Bowole, Avril 1993, Paris
Rachid Ardjouni, Avril 1993, Wattrelos
Fabrice Omont, Avril 1993, Cherbourg
Maftah Belkham, Juin 1993, Firminy
Franck Moret, Juillet 1993, Saint-Barthélemy-de-vals
Romuald Duriez, Octobre 1993, Arles
Mourad Tchier, Décembre 1993, Lyon
Ibrahim Sy, Janvier 1994, Rouen
Joel Nebor & Frédéric Adom, Juin 1994 Paris
- Résumé de cas
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
- Inertie du ministère public
- Accès aux enquêtes
- Retards dans les enquêtes et les poursuites
- La prévention des infractions
- Formation des agents de la force publique
- Connaissance des instruments internationaux relatifs
aux droits de l'homme
- Plaintes concernant des agents de la force publique
APPENDICE
Instruments internationaux en matière de droits de l'homme
que la France a ratifiés ou auxquels elle a adhéré INTRODUCTION
Le Comité a observé que "les étrangers et les jeunes semblaient être une
cible préferentielle" [4 Ibid.]
b) S'efforceront de ne causer que le minimum de dommages
et d'atteintes à l'intégrité physique et de respecter et de préserver
la vie humaine ;"
Le texte se poursuit ainsi : "Quoi qu'il en soit, ils ne recourront intentionnellement à l'usage meurtrier d'armes à feu
que si cela est *absolument inévitable pour protéger des vies humaines*" (c'est nous qui soulignons).
En 1989, l'Assemblée générale des Nations Unies a approuvé
les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extra-légales, arbitraires et sommaires et aux moyens efficaces
d'enquêter sur ces exécutions
[7. Adoptés par le Conseil économique et social des Nations Unies le
24 mai 1989 dans la resolution 1989/65.]
dont l'article premier indique que
"de telles exécutions ne devront pas avoir lieu, quelles que soient
les circonstances [...] *par suite de l'emploi excessif ou illégal de
la force par un agent de l'Etat* (c'est nous qui soulignons) ou
toute autre personne agissant à titre officiel". La section relative
aux enquêtes est importante dans le cas de la France. Elle exige
notamment qu'une enquête approfondie et impartiale [soit]
promptement ouverte dans tous les cas où l'on soupçonnera des
exécutions extra-légales, arbitraires et sommaires, y compris
ceux où des plaintes déposées par la famille ou des informations
dignes de foi donneront à penser qu'il s'agit d'un décès non naturel dans les circonstances données". Les Principes disposent
également que "les familles des défunts et leurs représentants
autorisés seront informés de toute audience et *y auront accès*
(c'est nous qui soulignons), ainsi qu'à toute information touchant l'enquête" et qu'un rapport écrit sera établi dans un délai
raisonnable sur les méthodes et les conclusions de l'enquête. Il
sera *rendu public immédiatement* (c'est nous qui soulignons) et
comportera une description de l'enquête et des procédures et des
méthodes utilisées pour apprecier les éléments de preuve, ainsi
que des conclusions et recommandations fondées sur des constatations et sur la loi applicable"
- l'existence d'un danger actuel ou imminent menaçant une
personne ou un bien ;
- la nécessité de violer la loi pour sauvegarder la personne ou le
bien ;
- l'existence d'une proportionnalité entre les moyens utilises et
la gravité de la menace.
Les déclarations des témoins et des policiers concernant les
circonstances exactes de la mort de Romuald Duriez ne concordent pas et font actuellement l'objet d'une enquête. Certains
détails ressortent cependant clairement. Le policier a déclaré
qu'il avait tiré sur Romuald Duriez au moment où ce dernier
fonçait sur lui tête baissée. La balle aurait pénétre dans l'aeil
gauche pour aller se loger dans l'estomac [30. Libération, 8 octobre 1993.]
Philippe Lescaffette, fonctionnaire de 40 ans, a participé à la manifestation. Il a affirmé que des policiers, armés de matraques, avaient foncé sur
lui, l'avaient renversé à terre et frappé. Il a dû passer quatre heures dans une
cellule sans recevoir de soins médicaux ; blessé au visage, on a ensuite dû lui
faire 24 points de suture.
Didier Laroche, étudiant de 26 ans, affirme avoir été interpellé
à Bordeaux, en mars 1994, par deux policiers en civil qui l'ont
livré aux policiers des brigades d'intervention qui
venaient d'arriver dans un fourgon. Il a été frappé à
coups de poing, de pied et de matraque, puis enfermé
dans le fourgon où les mauvais traitements ont
continué. Il a ensuite été emmené au poste de police
et ausculté par un médecin de service qui l'a envoyé
recevoir des soins et se faire radiographier. Le certificat médical
qui lui a été délivré précise qu'il avait le nez cassé et diverses
lesions aux yeux, au visage, a la poitrine, aux genoux et aux cuisses.
Toutes les personnes arrêtées ont été condamnées à des peines de
40 à 80 heures de travaux d'intérêt general. Au moment où nous écrivons
ces lignes, l'instruction concernant la plainte déposée par Didier
Laroche pour mauvais traitements suit toujours son cours.
Aux environs de 18 heures le 16 mai 1994, Abdelkader Slimani, ressortissant français d'origine algérienne âgé de 16 ans, a été
appréhendé par deux motards de la police tandis qu'il circulait
en scooter près de chez lui à Torcy, dans la région parisienne.
Les policiers lui ont demandé son certificat d'assurance. D'après la
plainte qu'il a déposée le 20 mai 1994, Abdelkader Slimani a
admis ne pas avoir ce document en sa possession mais il a
proposé d'aller le chercher chez lui. Les policiers ont décliné
son offre et lui ont ordonné de les
accompagner au commissariat, Cependant, il a pris peur et a tenté
de s'enfuir sur son scooter, la police à ses trousses. Il est tombé, mais ne s'est pas gravement blessé puisqu'il a pu se relever et tenter de fuir à pied.
Cible utilisee officiellement par la police pour l'entrainement au
maniement des armes a feu ; le maximum de points est obtenu lorsque
la tete et les organes vitaux sont atteints.